Correspondance, les lettres de Ludovic PIETTE à son ami Camille PISSARRO, 1863-1877 : quatorze ans pour une correspondance familière entre deux amis,
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Lettre de Piette adressée à Pissarro de Mi-janvier 1871,
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Musée Pissarro de Pontoise Musée TAVET-DELACOUR
Lettre de Piette adressée à Pissarro de Mi-janvier 1871, si la guerre du buisson se fait ici, comme elle se commence, il faudra fuir les maisons où les Prussiens verront partout des ennemis et les égorgeront.
[MI-janvier 1871]
Mon cher Pissarro,
J'ai reçu votre lettre avec bonheur, et je voudrais pouvoir y répondre en toute liberté. Vous comprendrez que le pays étant envahi, ma lettre peut tomber aux mains des Prussiens qui se serviraient des renseignements qu'elle pourrait contenir. Vous saurez seulement que nos armées ont fait de grosses pertes ; après s'être reformées chez nous, ont repris l'offensive. Nous nous croyions à la veille de les avoir et toutes les précautions étaient prises. Si vous vous souvenez ce que nous avions vu dans notre petit voyage à quatre, vous comprendrez combien la défense était facile. Les Prussiens eussent été défaits, pour sûr, car leur artillerie à longue portée restait de nul emploi chez nous et leur cavalerie impossible dans notre pays. Donc nos armées sont plus fortes que jamais ; elles n'ont perdu qu'un petit nombre de braves ; perte regrettable causée par la désertion des troupes de notre pays. C'est [illisible] des lâches qui ont lâché pied sans combat. Je vous dirais bien des choses là-dessus qui me font prendre en aversion profonde mon pays : le courage vrai, celui qui se raisonne et fait un héros de l'homme que la nature a fait faible ou timide, ce courage manque dans le pays de la bête. Ce courage suit l'éducation et l'intelligence et grandit avec elle : aussi dans les autres pays nos soldats sont courageux ; le nôtre, le plus arriéré, ne produit que des lâches. Leurs sens moral est anéanti, retourné : les traîtres qui ont agi sur eux sont arrivés à leur faire maudire les courageux et à regarder leur lâcheté comme méritoire. Mais le bon sens réagit contre eux, même ici on les méprisera et raillera toute leur vie. Du reste, on a pris une bonne mesure, car ces mobiles et mobilisés sont haïs des troupes qu'ils ont trahies et qui tireraient dessus s'ils se rapprochent d'elles. Notre armée du Mans, double en nombre de ce que vous croyez et renforcée encore, peut et veut se passer de ces coquins ; nul général ne veut s'en servir ou les exposer au feu dans des lieux dangereux et sans importance stratégique, ou les sacrifier pour en défaire le pays, sans danger pour l'issue des batailles, et des artilleurs de la marine qui les accompagnent avec des canons à courte portée, excellents pour la mitraille, ont mission de les bombarder. J'ai vu les gars et les pièces, j'ai entendu leurs paroles, ils ne les ménageront pas. Sitôt qu'un moblot paraît, les autres soldats les couvrent d'injures. Les chefs de l'armée de Cathelineau dont quelques compagnies ont été anéanties au Mans par la désertion. Les mobiles et mobilisés d'ici ont peiné à ne pas se jeter dessus quand ils en voient. Ce n'est point où vous disiez que filait l'armée de Chanzy, elle prenait de bonnes positions pour se reformer et cela fait, elle est repartie. Vous savez où. Nous avons souvent tracé la ligne que suivaient les Prussiens. C'est là. Nous entendions il y a trois jours dans le silence des bois de sourdes détonations presque imperceptibles et très rapprochées qui se succédaient toute la journée et dans la nuit dans la direction de cette ville, à quarante lieues peut-être, le vent étant favorable. Les chefs disent que rien n'est perdu, qu'ils ont grand espoir, maintenant qu'ils connaissent les troupes sur lesquelles on peut compter, car sans les coquins qui ont fui, Le Mans était imprenable ; et [durant] trois jours, les Prussiens y avaient en vain usé leurs boulets, sans la fuite de nos coquins d'ici. On nous annonce des nouvelles de Paris excellentes ; nous n'osons y croire ayant été trompés souvent. Le même jour que la vôtre, j'ai reçu par ballon une lettre d'un parisien, pauvre cher garçon, qui a fait avec mon malheureux frère la campagne d'Italie avec Garibaldi, puis cette sinistre expédition de Pologne où l'on traquait et rôtissait les Garibaldiens gelés ; il a échappé à tout, il se bat comme un lion : a perdu déjà les siens au feu et demande à grands cris la grande sortie. Paris lavera le nom français de la flétrissure ignoble que tous les lâches lui ont imprimée. Ils tiendront ces pauvres chers Parisiens, jusqu'à la fin ; le bombardement n'a point encore atteint Montmartre, on nous promet ce régal, mais toutes ces sorties, préludes de la grande qu'on attend et qu'on nous annonce comme réussie, doivent étonner les Prussiens. Ah, ils en verront des cadavres et les leurs amoncelés sèmeront du [illisible] en Allemagne pour venger nos pauvres victimes d'une guerre aussi injuste que féroce.
On avait cru pincer Gambetta à Laval, mais ce n'est pas réussi.
Bonne nouvelle de Faidherbe [Faidherbe commandait l'armée du Nord. Après une victoire à Bapaume le 3 janvier, elle sera battue à Saint-Quentin le 19 janvier et se repliera sur Cambrai. Un corps de Garibaldiens était venu se joindre aux soldats de la République, mais après le combat et la défaite de Buzenval le 19 janvier, la capitulation de Paris le 28 janvier, il ne reste plus à Jules Favre qu'à demander, au nom du gouvernement, l'armistice. Il sera signé à Versailles le 26 février (pour plus de détails sur les combats en province, on peut consulter Charles de Freycinet, La guerre en prooince pendant le siège de Paris, 1870-1871, Paris, 1872). Dans La débâcle (l892, tome XIX des Rougon-Macquart), Émile Zola a tenté de décrire cette atmosphère de défaite en utilisant des récits de témoins semblables à ceux qui nous pouvons lire dans ces lettres.] et de Bourbaki qui lutte en héros maintenant ainsi que Garibaldi. Rien n'est perdu. Un seul moment de pitié de la fortune, un seul succès, les Allemands seraient victimes de l'enthousiasme que donne leur férocité, et les broyer dans leur sang.
Ma femme a été bien effrayée, ce qui me peine. Si je n'avais pas cette frayeur pour elle, je verrais bientôt la couleur de leur sang avec mon petit Lefaucheux, mais je reste calme, trop calme.
Je ne puis avoir peur, même si je n'ai pu lorsqu'on les disait à deux lieues de nous, venant sur nous et qu'on s'attendait à être réveillés par eux dans la nuit. Pour le moment, ils sont loin, peut-être à vingt lieues. Ils reviendront s'ils sont vainqueurs, peut-être ; puisse une défaite ne pas nous arriver. Gambetta est venu à cinq heures d'ici, vous savez où maintenant. Nous ne recevons que bien rarement des journaux et souvent de plusieurs jours de date, vous allez donc être beaucoup mieux renseigné que nous sur ce qui se passera près de nous. Vous n'ignorez pas sans doute le toast de l'empereur de Russie ; il y avait gala : au milieu du repas, on apporte au Czar une dépêche qui annonce à ses convives une bonne nouvelle : « Le bombardement de Paris a commencé avec succès, buvons à la santé de mon oncle, le roi de Prusse », Tous se lèvent, seul le fils du Czar reste assis, brise son verre et sans rien dire offre son bras à sa femme et se retire. On dirait du Shakespeare. Que le Français n'oublie jamais ce toast ! Comme il n'oubliera point la lâcheté de l'Europe entière ! [Cette anecdote se passait entre le Tsar Alexandre II (1818, assassiné en 1881) et son fils Alexandre III (1845-1894) qui deviendra l'artisan de l'alliance franco-russe et dont un pont de Paris porte le nom.]
Embrassez ce pauvre Lucien et Minette. Les pêches rouges sont loin encore et il y en a beaucoup, mais qui les mangera ? Si les Prussiens ne me chassent pas de chez moi, mes beaux-frères m'en feront peut-être partir ! Pour quelqu'argent que je leur dois, ils feraient vendre et rachèteraient pour le quart de la valeur.
Ils sont trop hommes d'affaires pour manquer leur coup ; si pourtant je puis rester, nous mangerons mes pêches et les prendre avec moi, ce sera heureux pour moi.
Nous regorgeons encore de fruits et vous n'en n'avez pas et vous avez tant pris de mal à la récolte : nous ne pouvons vous en envoyer, c'est un regret ; le raisin vient de finir, mais poires, pommes, marrons abondent.
Je reprends cette lettre interrompue faute de facteur et la risquerai demain à la poste. On entend le canon souvent depuis quelques jours à assez grande distance. On se bat à une petite commune voisine de celle où demeure ma sœur, au pays dont vous avez vu entre autres aquarelles une fête-pèlerinage, une foule avec une église au milieu. Il paraît qu'il y a soulèvement des habitants : voici la dépêche moins les noms de l'endroit (des environs à cinq et trois lieues de moi, colonel commandant supérieur des mobilisés (les nôtres) : « les habitants de X ... se défendent héroïquement contre des forces prussiennes assez considérables. Ils leur ont pris plusieurs voitures, plusieurs chevaux, tué douze hommes. De X ..., partira le signal du tocsin qui devra être le signal du soulèvement général de toute la Mayenne. Le mouvement est magnifique. Ceux qui n'ont pas d'armes ont pris leurs fourches, leurs faulx ; à ces populations patriotiques, j'ai envoyé les secours nécessaires pour organiser une résistance sérieuse. A, B, C, D, E que j'occupe avec cinq bataillons revenus de leur première stupeur, demandent et des armes et des munitions. Que ce mouvement soit encouragé, soutenu et cet incendie se répandra sur la France tout entière. Honneur aux habitants de X ... et à ceux qui imiteront son exemple ». Vous le voyez, ces coquins ne sont pas loin encore et on les verra ...
Nous n'avons rien caché, le feu anéantira tout ce qu'ils ne trouveront pas.
Si la guerre du buisson se fait ici, comme elle se commence, il faudra fuir les maisons où les Prussiens verront partout des ennemis et les égorgeront. Nous errerons dans les bois en sauvages le fusil à la main. Cela vaudra mieux que l'égorgement à domicile et les plus lâches seront forcés à cette vie. Ma femme est faible, faible ... que devenir ainsi ? Elle ne pourra résister à la vie errante, et sans pain. S'il lui arrive malheur, il me faudra bien du sang avant qu'on épuise le mien. En colère, vous ne m'y avez pas vu : je suis furieux et féroce. Je suis fort, je tire proprement un coup de fusil, j'ai beaucoup de sang-froid au péril extrême : je crois que je ne serai pas lâche si le sang me monte à la tête. Avec cela, je viens d'inventer un charmant petit chevalet léger portatif, commode, vous voyez, je ne suis point guerrier et serais volontiers lâche, mais il me reste la colère pour faire de moi un homme. J'y suis très enclin.
Je vous embrasse tous, ma femme en fait autant, au revoir s'il se peut, mes chers amis.
Dans les marges :
Je vais vous étonner ; au plus fort de la débâcle, j'ai peint. C'était si beau. Je n'ai pu m'arrêter. J'ai fait une demi-douzaine d'études au moins : quand on travaille, ma foi, tout disparaît pendant quelques heures. De temps à autre, je jetais un coup d’œil de côté pour voir si les Hulans venaient. Je n'ai rien vu. Monsieur Maupetit, mon beau-frère, est prisonnier, pris à Beaumont, après la bataille du Mans, il est enchanté de sa position, paraît-il. C'est un signe que les Prussiens ont du vin, il avait le grade de major général de la légion.
Nous n'avons pas même le cœur de manger. Ma femme est malade, elle ne peut écrire à votre dame. Sa lettre lui a fait bien plaisir.
Elle me charge de la remercier et de lui envoyer ses vœux les plus ardents de revoir. Bonne santé à vous et si demain cette lettre n'est pas partie, elle y joindra un mot si elle est mieux car nous ne sommes sûrs des courriers : ils ne se font plus que par piétons et sans régularité. Peut-être même cette lettre ne vous parviendra-t-elle pas. En attendant, recevez nos vœux et poignées de main. Puisse l'avenir nous réunir encore, de nous revoir et bientôt. Bien à vous tous, Madame et enfants et vous, votre ami,
Piette.
Encore la neige épaisse, c'est comme exprès. Les chasseurs chassent gaiement comme si l'ennemi était à cent lieues.
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Extrait du Livre " Mon cher Pissarro - Lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro"
" Editions du Valhermeil "
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source de cette lettre: inlibroveritas.net pages 50 - 51 - 52 - 53 - 54 - 55 - 56
Lettre de Ludovic Piette à Camille Pissarro du ---> [MI-janvier 1871]
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