Correspondance, les lettres de Ludovic PIETTE à son ami Camille PISSARRO, 1863-1877 : quatorze ans pour une correspondance familière entre deux amis,
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Melleray, 8 janvier 1871, lettre de Ludovic Piette adressée à Camille Pissarro,
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Lettres de Ludovic PIETTE à PISSARRO - page 2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12-13-ect...
Musée Pissarro de Pontoise Musée TAVET-DELACOUR
Melleray, 8 janvier 1871, lettre de Ludovic Piette adressée à Camille Pissarro, on sait que Pissarro sera présenté à Durand-Ruel grâce à Charles Daubigny.
[Melleray, 8 janvier 1871]
Mon cher Pissarro,
Rien n'est bloqué encore ni ne le sera entre la France et l'Angleterre à moins que celle-ci ne prenne ouvertement le parti de la Prusse dans une alliance avec l'Italie comme on nous le fait accroire [En septembre et octobre 1870, Thiers, qui s'était opposé à la déclaration de guerre, fut chargé par Jules Favre de parcourir les capitales d'Europe en vue d'obtenir une médiation dans le conflit franco-allemand. L'Angleterre, l'Autriche, l'Italie, la Russie se récusèrent, l'Europe se préoccupant surtout de ses difficultés personnelles : l'Italie achevait son unité en prenant Rome, quant à l'Angleterre, aux prises à l'intérieur avec la question irlandaise, elle n'était pas contre une conférence internationale où elle aurait en même temps réglé ses comptes avec la Russie, mais Bismarck s'y opposa.]. Je n'ai point répondu à votre aimable lettre parce que j'attendais toujours pour avoir à vous annoncer quelque chose de sérieux. L'affaire de Paris, la perte du plateau du Mont Avron est une perte puisqu'il avait fallu le prendre au prix de bien du sang, mais si c'était pour nous un avantage de l'occuper puisqu'il facilitait la défense et l'attaque de notre part, nous avons du moins la consolation de savoir qu'il est impossible aux Prussiens de s'y tenir tant que nous avons les forts, ni d'occuper même le plateau [Le 29 décembre, il fut décidé d'évacuer le plateau d'Avron. Les forts de Noisy, de Rosny, de Nogent, du plateau d'Avron, d'Issy, de Vanves, de Montrouge furent parmi les plus bombardés. A partir du 5 janvier 1871, les obus tombent sur Paris, et d'abord sur le quartier Saint-Jacques.] ; pour l'attaque des forts, nous espérons que ceux-ci tiendront bon. Ce n'est point Paris qu'on commence à bombarder ce sont les forts. Du reste je pense que cet essai de bombardement n'est qu'une feinte pour occuper les Parisiens et les empêcher de faire une sortie ou même les empêcher d'entendre le canon d'attaque vers Rambouillet, et de sortir à la rencontre de l'armée de secours qui s'avance ; ou même peut-être veulent-ils arrêter les pigeons ou signaux donnant nouvelle de l'attaque de celle-ci. Un grand nombre de troupes ont quitté la première ligne d'investissement s'avançant vers Chartres fortifié ; de sorte que les Parisiens ont peu de troupes en ce moment à leur rencontre. Tout l'effort prussien tend vers Le Mans pour casser les reins à Chanzy, mais celui-ci a une armée formidable, il a plus de deux cent mille hommes ; Bourbaki a autant pour monter à l'est, c'est donc un coup de chien terrible qui va avoir lieu [Chanzy était à la tête de la deuxième armée de la Loire ; il sera vaincu au Mans les 10 et 11 janvier et se repliera vers la Mayenne. Le 14 janvier, il transportera son quartier général à Laval. L'armée de l'Est, commandée par Bourbaki se dirigeait vers Belfort. Elle est victorieuse le 9 janvier à Villersexel mais plusieurs revers la poussent vers le Jura d'où elle passera en Suisse pour être désarmée.]. Nous espérons beaucoup en Chanzy, ses positions sont très fortes ; les sapinières du Mans démasqueront de cruelles surprises aux Prussiens, et les hauteurs inabordables à gauche du Mans ; depuis [illisible] sur une longueur de plus d'une lieue auront de rudes dragées à envoyer à l'armée prussienne qui suivra la vallée, entre ces monts et les sapinières ; jamais on a eu autant de motifs d'espérer. Au premier moment, nous apprendrons l'issue de la lutte ; elle sera terrible des deux côtés : si nous perdons contre toute attente toutes les troupes vont se replier sur Laval où tout est prêt en vue de cette éventualité ; rien ne sera perdu ; on commencera dans la Mayenne la guerre de buissons où nous pouvons défier tous les obus de l'armée prussienne et toute leur stratégie ; si nous avons l'avantage, Paris est sauvé. Comme vous pensez, nous ne vivons plus, nous en avons assez de l'incertitude, et la guerre ici, la dévastation, la mort même serait un bien puisqu'elle assurerait notre avantage définitif. J'ai déserté la peinture ; les affaires de mairie, et autres embarras m'en ôtant le temps, et surtout, je n'ai plus le coeur au travail ; j'ai fait cependant deux séances d'aquarelle. J'ai fait deux grandes études de neige, deux seules. Ma voiture n'est que charpentée ; j'ai craint la réquisition et les Prussiens, et suis trop pauvre pour travailler pour eux, mais qu'on y serait bien, voiture de saltimbanque, complète et avec toutes les commodités, stores tout autour comme les omnibus, quel bonheur on aurait à peindre là-dedans par une bonne chaleur au coeur, et aux doigts, c'est trop beau comme tout ce qui est rêverie, cela ne peut arriver ; il faudra comme dit ma femme, qu'il vienne un malheur exprès pour en empêcher la réalisation, si ce n'est déjà arrêté d'avance, le fait est que ce serait trop de bonheur pour oser l'espérer. Si contre toute espérance cela se réalisait, vous en profiterez, j'espère. Mais laissons cela, revenons à la réalité.
Vous n'osez pas montrer votre peinture ? J'ai toujours eu cette appréhension, l'Angleterre a Rosa Bonheur pour idole'", Que dire après cela ? Eh bien, il faut du petit, des expressions de visage, des détails qu'ils appellent perlés, ainsi parlaient les marchands que j'ai connus. Ils adorent Rousseau parce que ses paysages frottés aux laques (ils passent leur vie à inventer des laques) sont transparents toujours et creux - vous savez que le plus bel éloge que font les amis de Rousseau sont précisément cette transparence qu'il cherchait et qu'il n'est que trop facile d'obtenir, puisqu'il est si difficile de l'éviter.
Enfin on ne peut se mettre d'accord ; l'habitude et l'éducation faussent le raisonnement naturel. Rentrez à Paris, allez ; comme vous le dites votre fortune est faite, si vous êtes assez sage pour garder pendant quelques années encore des goûts modernes qui vous permettent en bornant vos dépenses de faire des économies peut-être bourgeoises par la forme, mais fort artistiques en réalité puisqu'elles vous donneront l'indépendance, le loisir, le bien être pour mener sans interruption pénible votre rêve bien aimé.
Ma soeur est restée un mois avec nous ce qui nous a fait trouver moins déserte notre pauvre vieille masure. Elle est partie dire adieu à son mari qui parlait en avant avec les mobilisés.
Quand vous m'écrirez ne craignez pas les détails, je serais heureux de m'identifier à vos essais et luttes. A propos, merci de vos souhaits de bonne année, tout cela est si pénible qu'on ne se figure pas qu'on est à une époque de plaisir. Merci de vos souhaits, recevez les nôtres qui sont votre réussite et votre santé, puissiez-vous revenir et nous retrouver.
Je ne pense pas qu'il soit possible de vous envoyer de journaux sans trop de frais. Cherchez donc cela ; je pourrais vous envoyer la feuille du village que je reçois, elle vous réconforterait joliment.
A revoir, à bientôt, bonnes nouvelles nous vous serrons la main ma femme et moi ainsi qu'à votre dame et nous embrassons vivement ces pauvres enfants qui voudraient bien je crois rechanger de pays. Ils retrouveraient tous leurs riches joujoux qui sont épars dans le jardin et la cour, sur les bancs, coquilles d'huîtres, ardoises brisées, morceaux de bois à forme particulière, aquarelle que l'eau ne peut pâlir et tous ces charmants débris de toutes sortes.
Bien à vous,
[On sait que Pissarro sera présenté à Durand-Ruel grâce à Charles Daubigny (cf. Correspondances de Camille Pissarro, op. cit. p. 64) en janvier 1871, mais on voit que le futur peintre impressionniste hésite encore à se produire. Sa peinture est déjà en effet bien différente de celle de Rosa Bonheur.]
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Extrait du Livre " Mon cher Pissarro - Lettres de Ludovic Piette à Camille Pissarro"
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source de cette lettre: inlibroveritas.net pages 45 - 46 - 47 - 48 - 49
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Les lettres de Ludovic PIETTE à son grand ami Camille PISSARRO.
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